Article spécialisé

Projet HiDeStor

Comme chacun le sait, le pompage-turbinage est aujourd'hui encore la solution la plus efficace et la plus compétitive pour stocker l'électricité. Or, avec le développement en cours du photovoltaïque et de la mobilité électrique, il est crucial à la fois de pouvoir stocker localement le surplus d'électricité produite, et de distribuer, en fonction des besoins, cette électricité rapidement et localement. De là se profilent également des notions de stabilité du réseau électrique. D'où l'intérêt de développer le petit-pompage turbinage et le projet HiDeStor.

POURQUOI DU PETIT POMPAGE-TURBINAGE ?

Avec 20 grandes centrales hydroélectriques de pompage- turbinage, la Suisse peut compter actuellement sur une puissance installée de 3 600 MW. Même si ces grands projets assurent un stockage hebdomadaire ou saisonnier, il y a un fort intérêt à disposer d'installations de stockage sur le réseau régional de distribution à moyenne tension pour répondre aux variations quotidiennes. Ce faisant, le réseau de transport à haute tension et les grandes capacités de stockage seront préservés.

C'est dans ce contexte du marché de l'électricité qu'a été monté le projet HiDeStor, sous le nom plus complet de « Hidden Decentralised Storage potential using medium and small pumped storage hydropower plants », qui pourrait se traduire par : le potentiel caché des petites et moyennes centrales hydroélectriques à pompage-turbinage décentralisées.

Figure 2 : Les différents niveaux du réseau électrique.
Swissgrid

CADRE ET DÉMARRAGE DU PROJET HIDESTOR

Sous mandat de l'Office fédéral de l'énergie pour la période 2022-2025, le projet est mené par la Haute école d'ingénieurs de Sion, HES-SO Valais, et Mhylab. Il s'intéresse à sept cantons, à savoir Berne, Fribourg, Jura, Neuchâtel, Tessin, Valais et Vaud, soit environ 50 % de l'ensemble du territoire suisse.

Étant donné les enjeux environnementaux, économiques et sociétaux, le projet vise l'utilisation d'infrastructures existantes comme par exemple des réservoirs construits à d'autres fins que la production d'électricité, telles que l'irrigation, l'eau potable, l'enneigement artificiel, la protection contre les crues, et également les lacs naturels. L'étude met donc d'abord l'accent sur les aménagements mettant en jeu deux réservoirs existants. Puis, elle s'intéresse aux potentiels de sites pour lesquels un réservoir doit être créé, que ce soit celui en amont ou celui en aval de la station de pompage-turbinage.

En parallèle à la recherche des réservoirs existants, une des premières démarches a été de spécifier les besoins et attentes des différentes parties prenantes, principalement en matière de stabilisation du réseau électrique.

Figure 3 : Recensement des retenues et lacs dans le canton du Valais.

STABILITÉ DU RÉSEAU ÉLECTRIQUE ET PETIT POMPAGE- TURBINAGE

Une exploitation de qualité du réseau électrique passe par ce qu'il est commun d'appeler des services système. Dans le secteur de la fourniture d'électricité, les services système sont définis comme des services fournis par les gestionnaires de réseau aux clients en plus du transport et de la distribution de l'énergie électrique. Par exemple, les services auxiliaires chez Swissgrid assurent notamment :

  • Le contrôle de la fréquence (contrôle primaire, secondaire et tertiaire)
  • Le maintien de la tension
  • La compensation des pertes de puissance active
  • La capacité de démarrage autonome et d'exploitation en îlotage

Dans le cadre du projet HiDeStor, les besoins des parties prenantes, qu'il s'agisse des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) ou de services publics, ont été étudiés sur la base d'entretiens et de questionnaires portant sur la puissance, l'énergie, les cycles et les contraintes du réseau. Il en est résulté que plus de 50 % des 43 participants à l'enquête, formant un échantillonnage estimé comme représentatif pour la Suisse, sont intéressés par des solutions de stockage d'une capacité comprise entre 1 MWh et 25 MWh, principalement pour lisser les pics de consommation. Au final, l'enquête a ainsi mené à définir une puissance électrique minimale pour le pompage / le turbinage de 5 MW, pour une durée d'un cycle de pompage / de turbinage entre 3 et 6 h.

CRITÈRES DE SÉLECTION DES SITES DE POMPAGETURBINAGE

Après le repérage des réservoirs, une analyse est menée de manière à sélectionner les sites répondant aux critères de faisabilité du projet HiDeStor. Deux informations sur les binômes identifiés peuvent être acquises assez rapidement : la distance et la dénivellation entre les 2 réservoirs. Ainsi, la longueur de la conduite forcée à poser entre les deux réservoirs a été définie comme ne devant pas dépasser 2 km. Quant à la dénivellation, compte tenu de la puissance électrique minimale du site de 5 MW et la durée de cycle comprise entre 3 et 6 h, elle permet de préciser le volume minimal requis des réservoirs. Car - faut-il le rappeler ? – la puissance de l'aménagement sera déterminée par le réservoir le plus petit en termes de volume d'eau accumulable.

De plus, la longueur du raccordement électrique est un critère de sélection du site, en considérant la future centrale le plus près possible du réservoir (aval). La limite a été posée à idéalement 2 km, avec une tolérance allant jusqu'à 4 km. Et, pour les binômes demandant la création d'un nouveau réservoir, un critère de sélection vient s'ajouter, compte tenu des contraintes économiques, environnementales et sociétales, précisé au fur et à mesure de l'avancement de l'investigation : un volume maximal du réservoir à créer de 55 000 m3.

RAPPELS SUR LES TECHNOLOGIES DE POMPAGE-TURBINAGE

Le thème du pompage-turbinage n'étant pas habituel en petite hydraulique, il convient de revenir sur les notions de groupes binaires, ternaires ou quaternaires.

Groupe binaire ou réversible
Un groupe binaire ou réversible est constitué :

  • d'une machine hydraulique unique correspondant à une pompe pouvant fonctionner en mode turbine lorsque le sens de rotation est inversé,
  • d'une machine électrique unique travaillant comme moteur en mode pompe et co

Groupe ternaire
Un groupe ternaire regroupe sur un même arbre une turbine, une pompe, et un moteur-générateur électrique unique, tournant dans le même sens et à la même vitesse.

La turbine permet le démarrage en mode pompe sans système spécifique additionnel. Vu l'absence de changement de sens de rotation, les temps de démarrage et de passage d'un mode à l'autre sont généralement plus faibles que pour un groupe binaire.

Groupe quaternaire ou groupes séparés
Le groupe quaternaire est la configuration la plus basique, composée d'un groupe de pompage (moteur-pompe) et d'un groupe de turbinage séparé (turbine-générateur).

Cette configuration permet une optimisation maximale à la fois de la pompe et de la turbine en fonction de leurs conditions d'exploitation respectives, sans compromis entre les deux, et ainsi, une flexibilité et un rendement maximaux.

Figure 5 : Schéma d'un groupe binaire ou réversible.
Projet SIG Cogener, HES SO Valais Mhylab

Figure 6 : Schéma d'un groupe ternaire.
Projet SIG Cogener, HES SO Valais Mhylab

Figure 7 : Schéma d'un groupe quaternaire.
Projet SIG Cogener, HES SO Valais Mhylab

DIMENSIONNEMENT DES PETITES STATIONS DE POMPAGE-TURBINAGE

Une fois, les binômes de réservoirs sélectionnés, il s'agit de dimensionner la station de pompage-turbinage de manière à préciser le potentiel énergétique et les investissements.

La configuration la plus compacte et la plus réduite en termes d'équipements électromécaniques, et ainsi, de loin la plus utilisée pour les installations de grande capacité est le groupe binaire ou réversible (actuellement plutôt à vitesse variable). Par contre, le groupe quaternaire est en général la configuration la plus coûteuse en termes d'équipements électromécaniques, et n'est pour ainsi dire plus utilisé dans les installations récentes de grande hydraulique.

Dans le cadre du projet HiDeStor, dans la mesure du possible, on l'aura compris, étant donné les besoins du réseau électrique, l'objectif est de maximiser la flexibilité des machines, tout en restant dans des produits standard par souci de rentabilité.

Etant donné la gamme de puissance, entre 5 et 10 MW, rares sont les sites pour lesquels des machines réversibles standard sont disponibles. Par conséquent, la priorité lors du dimensionnement des centrales de pompage-turbinage est de chercher à installer un groupe ternaire (voire réversible), si la solution du groupe quaternaire s'avère non pertinente (p.ex. disponibilité sur le marché, coût directs et induits sur le génie civil trop élevés,…).

CRITÈRES DE DIMENSIONNEMENT DES TURBINES

La sélection des sites a conduit à retenir uniquement des sites de hautes chutes (de plus de 150 m), de manière à limiter les volumes à turbiner pour atteindre les objectifs de puissance. Ainsi, parmi les turbines, avec les Francis, les Pelton sont particulièrement adaptées pour les groupes ternaires et quaternaires. Pour un groupe ternaire, on privilégiera une implantation à axe horizontal, donc un nombre d'injecteurs limité à 3 en cas d'usage d'une turbine Pelton. C'est la pompe qui impose la vitesse de rotation, même si la turbine impose une vitesse standard maximale de 1 000 t/min. Pour les groupes séparés, la Pelton pourra être également à axe vertical, avec jusqu'à 6 injecteurs.

CRITÈRES DE DIMENSIONNEMENT DES POMPES

Pour chaque site, l'idée est d'identifier une ou plusieurs pompes standard, sur la base de plusieurs compromis. Car pour réduire le prix de la pompe, il est nécessaire de limiter la taille de la roue, ce qui implique de maximiser la vitesse de rotation. Or, plus on augmente cette vitesse, plus le NPSH (net positive suction head) augmente, c'est-à-dire le risque de cavitation.

POINT DE SITUATION DU PROJET HIDESTOR

Si la liste des sites de pompage-turbinage retenus ne peut pas encore être diffusée, quelques grandes lignes de résultats peuvent être partagées. Comme on pouvait s'y attendre, les binômes de réservoirs existants ne sont pas nombreux. Les cantons du Jura et de Neuchâtel en sont dépourvus par exemple. Le Valais est mieux loti. Les cantons de Berne et du Tessin sont encore en cours d'inventaires. Mais, il est déjà évident que les sites les plus attrayants en termes de potentiels se trouvent dans les Alpes. Et à ce jour, 5 aménagements de petit pompage-turbinage ont été identifiés comme potentiellement intéressants pour le Valais et 4 pour le canton de Vaud.

Les cartes des sites retenus pour chaque canton seront diffusées à la fin du projet, et notamment dans « Petite Hydro ».

Auteurs :

L'équipe du projet HiDeStor : Pour la HES-SO Valais / Wallis: Pr. Dr. Cécile Münch-Alligné, Dr. Olivier Pacot, Ing. Line Moret Pour Mhylab: Ing. Vincent Denis, Ing. Alberto Bullani, Ing. Aline Choulot